Les dieux sont morts. Ils sont morts il y a de cela bien des âges, leur existence passant du mythe à la légende. Ils ont cependant laissé un héritage aux hommes, une roche : l’Hikari. Une roche concentrant une partie de leurs pouvoirs divins, une roche capable d’accomplir les miracles les plus inimaginables, une roche dont la pierre brille d’une lumière pure. Cependant même ce pouvoir grandiose ne pouvait sauver la vie d’un homme.
Les feuilles mortes balayées par le vent, tourbillonnaient, pendant qu’une pluie battante fondait sur la capitale impériale. Dans cette nuit de tempête où le bruit de l’eau en cascade et du tonnerre était assourdissant, un cavalier solitaire fusait au travers des rues désertes, bravant les éléments. Le bruit du galop dans la terre des rues transformées en boue était le seul témoin de vie dans cette ville engloutie par la tempête. Galopant au milieu des maisons de bois et de papier, tantôt au toits de tuiles noires, tantôt au toits de chaume. Le cavalier s’arrêta devant la porte imposante du palais impérial, et pénétra à l’intérieur. Vêtu de de son armure de samouraï, Il marchait d’un pas pressé mais assuré dans les couloirs sombres du palais qui, le temps d’un coup de tonnerre, projetais l’imposante ombre du guerrier sur les murs. Celui-ci pénétra avec fracas dans une pièce éclairée par quelques bougies. Un homme pâle aux cheveux blonds reposait dans un futon au milieu de la pièce, entouré par cinq guérisseurs.
-Père ! Lança-t-il d’une voix fluette.
Il retira son casque ce qui révéla les long cheveux roses du guerrier, qui était en réalité une guerrière. L’homme affaiblit entrouvrit les yeux.
-Luka ? Gémit-il.
-Père ! Je suis partie dès que j’ai appris la nouvelle ! Dit-elle d’un ton inquiet en s’agenouillant près de son père.
-Luka, ma fille… Peina-t-il à dire avant d’être pris par une violente toux.
-Père ! Quel mal a-t-il ? Interrogea-t-elle d’un ton dur en se retournant vers un des guérisseurs.
-Nous ne savons pas exactement… Nous n’avions jamais vu cela auparavant... Répondit le guérisseur, troublé.
-Comment ça ? Son mal ne peut être guéri ? S’indigna la jeune femme.
-Et bien… Nous avons essayé d’innombrables remèdes, dont les plus rares, mais aucun ne s’est révélé efficace… Avoua le soigneur.
-Et la pierre ? Vous avez essayés la pierre au moins ? Lança-t-elle
-L’Hikari ? Oui… mais nous ne pouvons pas en abuser. Nous avons seulement employé quelques fragments. Dit le soigneur en se ressaisissant.
-Et bien je vous autorise à en abuser ! Allez chercher une pierre ! Aboya-t-elle.
Les guérisseurs se regardèrent abasourdis.
-Un pierre entière ? Lâcha timidement un des médecins.
-Exécution ! Cracha avec fureur la guerrière, ces yeux brillant de larmes naissantes.
Les guérisseurs quittèrent la pièce avec hâte, laissant seuls Luka et son père. La femme en armure, agenouillée au chevet de l’homme pâle, se lamentait en lui tenant sa faible main. Dans la grande pièce à présent vide, les sanglots de la fille aux cheveux rose accompagnaient le son de la lourde respiration du malade agonisant.
En cette rude nuit d’automne, au sein des murs du palais impérial de Kyoten, alors que le déluge s’abattait dehors, la flamme d’un homme s’éteignit. La puissance divine ne pouvait terrasser le mal qui le rongeait. Ainsi, ce soir là, Taifu no Yohio chef du clan Taifu et régent impérial, décéda, élevant ainsi sa fille, Taifu no Luka, à la tête du clan et à la tête du pays de Hino.
***
Les mois passèrent, le rude hiver qui suivit fit place à un printemps flamboyant. Les cerisiers en fleur revêtirent leur plus beau feuillage d’une couleur rose éclatante. La vie suivait son cours dans la ville de Kurakama. Alors que le soleil avait dépassé son zénith, l’activité battait son plein dans le cœur de la cité. La large allée centrale grouillait de monde, les enfants jouaient, riaient et se cachaient dans les étales du marché, au grand damne des marchands qui vendaient leurs produits. Les gens se croisaient au rythme des coups de marteau du forgeron. Paysans vendant leurs denrées, artisans affairés, aristocrates bien parés ou encore simples voyageurs de passage ou en quête d’hospitalité. Tout ce petit monde évoluait sous le regard des samouraïs veillant à l’ordre et à la sécurité. Ces guerriers revêtaient les couleurs de leur seigneur. Ils étaient les loyaux samouraïs du clan Sanka. L’imposant château du clan dominait la ville, iIl était la pièce centrale du domaine seigneurial, un peu en périphérie de la ville mais positionné sur une position forte en hauteur et entouré d’une épaisse muraille de pierre. Au centre du château se tenait le donjon, haut de plusieurs étages d’un blanc immaculé. Donjon, lui même en hauteur par rapport au reste du château par ces larges fondations de pierres. Des drapeaux parés d’un violet puissant avec un symbole blanc représentant trois triangles, volaient fièrement au vent sur les toits de tuiles noires courbées de l’édifice. Cette forteresse paraissait imprenable, au même titre que les innombrables châteaux seigneuriaux des différents clans qui couvraient le grand archipel d’Hino.
Dans cette ville prospère une jeune rônin d’une vingtaine d’année et répondant au nom de Gumi errait. Elle arborait une chevelure éclatante d’une couleur verte intense. Ces courts cheveux étaient attachés en chignon, laissant néanmoins échapper deux mèches vertes courir le long de son visage avant de s’arrêter sur ses épaules. Elle ne portait sur elle que peu de pièces de vêtement. Son cou était couvert par un long bandeau de tissu rouge écarlate qu’elle portait comme on porterait une écharpe. Son habit principal, teint d’un orange flamboyant, est un grand, voir trop grand, hakama-shita, une sorte de kimono porté pour l’entraînement et le combat, un habit classique pour un samouraï vagabond. Cependant à la place de porter un hakama, un large pantalon de combat qui va de pair avec l’hakama-shita, ses jambes étaient entourées de bandages blancs qui remontaient jusqu’à sa poitrine, ce qui lui faisait office de soutient-gorge, son large hakama-shita exposant le haut de sa poitrine. Une ceinture noire coupée par une bande blanche entourait sa taille et fermait son habit. Enfin au bout de ses jambes étaient chaussées de larges sandales de bois qui, lorsqu’elle marchait produisaient ce bruit si caractéristique. Sa démarche sûre et masculine s’accordait avec son expression fermée et dure. Elle ne semblait porter qu’un katana, accroché à la droite de sa garde ; elle était gauchère, chose peu commune dans le monde guerrier. Elle cachait sa main gauche dans la veste de son habit, au style de Napoléon. Sa main droite portait, quand à elle, une grande ombrelle couleur rouge sang. Cette ombrelle à l’apparence banale cachait en réalité un wakizashi, un plus petit sabre d’une quarantaine de centimètres, le manche de l’ombrelle faisant office de fourreau.
Son apparence et son comportement singulier n’attirait pas de bons regards sur elle, les passants évitaient de croiser son chemin et son regard. Cela lui était égal, elle ne cherchait pas l’attention de toute manière, son ambition était plus grande et en cette journée de printemps, en cette journée de renouveau, son destin allait l’appeler.
Alors qu’elle s’apprêtait à quitter Kurakama en direction du nord, passant dans une zone périphérique de la cité entre ville et campagne, là où les patrouilles se font rares, son attention fut attiré par des cris d’agression. Il était clair que les passants autour d’elle entendaient aussi ces appels à l’aide, mais ils se contentaient de passer en baissant la tête. Gumi accéléra son pas, elle se dirigeait à l’origine des cris.
À l’arrière d’une maison délabrée, trois brigands tenait à leur joug une jeune femme frêle avec de longues couettes bleues turquoises. Deux des brigands la maintenaient, malgré le fait qu’elle criait et se débattait avec furie pendant qu’ils lui liaient les mains dans le dos. Le troisième, le chef, se tenait devant elle, c’était un mastodonte, il faisait au bas mot deux têtes de plus qu’elle.
-Regardez-moi ça, quel joli petit bout de femme. Jubila-t-il de sa voix grave un sourire pervers au visage, tout en tenant fermement la joue de la pauvre fille en pleure.
-Non ! Lâchez-moi ou v-vous allez le regretter ! Implorait la jeune femme de sa voix douce mais emplit de peur.
-Oh ? Je pense qu’on va plutôt le regretter si on te relâche ! Lança -t-il de façon crue, alors qu’il descendait sa main vers la poitrine de la fille au couettes. Ses deux compères ricanaient alors qu’ils finissaient de lier ses mains.
-Non je confirme, VOUS allez le regretter si vous ne la relâchez pas ! Fit la guerrière qui débarqua derrière les brigands, son ombrelle toujours sur l’épaule. Le chef des malfrats se retourna, surpris. Puis il arbora un sourire d’autant plus pervers.
-Tiens, tiens, les jolies filles viennent directement à nous maintenant ? C’est une bien dangereuse arme que tu as à la ceinture dis-moi. Aller rend-toi gentillement ou je vais devoir te faire goûter de ma lame. Dit-il d’un ton assuré, avant d’avoir un rictus et de porter sa main à son entrejambe. « Enfin, tu vas y goûter en tout cas ! Laquelle tu préfères ? »
-Bas les pattes sale porc ! De toute façon des minables comme vous ne méritent pas que je dégaine mon katana. Je vous battrais juste avec ça. Répondit-elle, brandissant son ombrelle, à deux mains, face aux bandits.
-Petite garce ! Que vas-tu faire avec ta pauvre ombrelle ?! Aboya-t-il, dégainant son sabre de médiocre qualité et fonçant sur la guerrier aux cheveux verts dans l’optique de lui asséner un coup horizontal.
Tout en esquivant de manière aisée l’attaque maladroite du brigand, la guerrière leva son ombrelle au dessus de sa tête, pointant dernière elle. L’ombrelle tomba, révélant le wakizashi. Son adversaire étant complètement offert à elle, celle-ci lui asséna un puissant coup verticale au cou, tranchant sa carotide. Le sang s’échappa abondamment, éclaboussant la femme au wakizashi rougi. Le corps du brigand tomba lourdement à terre en même temps que l’ombrelle. Il ne lâcha que quelques gargouillis d’agonies avant de finalement succomber. Gumi essuya le sang sur son visage, les yeux écarquillés, ses iris naturellement verts maintenant rouges, un sourire malsain au visage.
-Alors ? À qui le tour ?
Les deux brigands serrèrent les dents leurs regards s’emplirent de peur et de colère. Ils se regardèrent pour s’accorder sur un attaque combinée. Ils jetèrent au sol la pauvre otage aux cheveux turquoise et dégainèrent leurs lames de rasoirs avant de se jeter à corps perdu sur la guerrière. De retour en position de combat, Gumi esquiva avec grâce la première attaque portée puis para aisément la seconde. Voulant laisser une chance aux deux piètres bretteurs, elle continua de parer et d’esquiver leurs attaques dans ce qui pourrait paraître comme une danse chorégraphiée. Elle se lassa cependant vite de ce petit manège et l’abrégea de la même manière qu’elle avait fini son premier adversaire. Les deux bandits tombèrent lourdement dans la flaque de sang que le corps de leur chef avait formé. Les trois corps pataugeaient maintenant dans une marre sanguinolente. La guerrière aux yeux rouge essuya méthodiquement sa lame, détroussa les morts puis se retourna vers la femme au sol. Celle-ci avait assisté à toute la scène, elle était à la fois impressionnée et terrifiée par la technique au sabre presque surhumaine de cette femme aux cheveux vert. Gumi se dirigea subitement vers elle. Prise de panique et les mains encore lier elle ferma les yeux et retint son souffle. La rônin sectionna d’un coup net les liens que la femme effrayée avait aux mains. Celle-ci rouvrit les yeux, la guerrière aux yeux de nouveau verts et arborant un sourire chaleureux lui tendait la main. Elle la saisit avec hésitation, la forte poigne de Gumi l’emportait, la hissant d’un trait.
-M-merci de m’avoir sauvé… Je ne saurais imaginer ce qu’ils m’auraient fait si vous ne seriez pas intervenu… Balbutia-t-elle timidement tout en reprenant ses esprits, mais étant tout de même rassurée.
-J’ai bien une petite idée. Mais ne vous inquiétez pas ils pourront plus pointer leurs armes sur vous. Dit-elle d’un ton moqueur tout en regardant par-dessus son épaule les corps au sol.
La jeune femme aux cheveux bleus suivit le regard de la guerrière puis détourna les yeux à la vue des cadavres. Pris d’une légère nausée elle porta sa main à sa bouche. Gumi l’accompagna en dehors de cette scène morbide, tout en prenant soin de récupérer son ombrelle. Éloignée de la vue des cadavres la femme au couette repris son souffle.
-Excusez-moi… Je ne suis pas aussi à l’aise que vous à la vue de… Bloqua-t-elle, encore troublée.
-La mort ? Repris la rônin, rengainant son arme dans son ombrelle. La jeune femme aux couettes baissa les yeux et acquiesça, réalisant la porté de ces paroles. Un silence s’installa.
-...Encore merci de m’avoir sauvé. Y a-t-il quelque chose que je puisse vous offrir ? Peut-être accepteriez-vous un peu d’hospitalité ? Vous devez beaucoup voyager. Reprit-elle après la gêne occasionnée.
La guerrière fut touchée, elle n’avait pas l’habitude que quelqu’un éprouve autant de bienveillance envers elle, la plupart des personnes qu’elle sauve de ce genre de situation la remercie austèrement lorsqu’ils ne s'enfuient tout simplement pas. De plus cela faisait des lustres qu’elle n’avait pas logé dans une vrai maison, entre les auberges mal famées et les veillées à la belle étoile. Elle accepta de bon cœur.
-Je n’ai pas encore eu l’occasion de vous demander, mais quel est votre nom au passage ? Interrogea la femme aux cheveux bleu.
-Gumi… appelez-moi juste Gumi. Et quel est le votre ? Répondit la guerrière à l’ombrelle.
-C’est un joli nom ! Dit avec enthousiasme la jeune femme. « Je me nomme Sanka no Miku, enchantée ! »
***