Fable contemporaine adaptée d'un livre de Yann Martel sur le naufrage émouvant d'un indien et d'un tigre, retour sur l'Odyssée de Pi, par Ang Lee. Ou presque.
LE SCÉNARIOCe film, à la base tiré d'un livre de Yann Martel, nous fait dérouler l'histoire en trois temps : avant l'épopée de Pi(scine), pendant et après. Cette histoire nous est racontée par Pi lui-même, c'est donc une narration à la première personne. Avant l'embarcation, Pi, étant enfant, découvre le monde autour de lui, et celui des animaux. Nous avons une petite remise en cause de la foi et de la religion de la population infantile qui m'a bien plu, tout cela sur le ton de l'humour. Pendant les trente première minutes, nous sommes portées par l'histoire. Les dialogues sont bons, pas trop longs ni trop courts.
Lorsque l'on passe au naufrage en lui-même et à ses conséquences, la narration s'arrête brusquement. Sur le coup, c'est une chose que je n'ai pas particulièrement aimé, mais en ne critiquant pas le film à chaud, je me rends compte que cela rend l'immersion plus grande dans l'histoire. Mais ce défaut subsiste tout de même beaucoup, et cela est en rapport avec en partie la mise en scène (nous le verrons plus tard). Parfois aussi, on a droit à des séquences vraiment inutiles (comme celle du rêve océan/univers, même si ayant un rapport avec le début). Bref, je trouve qu'il y a un problème majeur dans le développement du film, c'est à dire la moitié du temps. Non pas dans sa structure, mais plutôt dans ses détails. Ce n'est pas tellement de la faute au scénario, mais plus de la mise en scène, j'y reviens après. À part ces défauts majeurs, j'ai trouvé que le rythme de cette partie était bon,
Les scènes de fin, où Pi révèle la face cachée des journalistes, en racontant une deuxième histoire toujours en parallèle avec la première, est aussi une petite critique en soi que j'ai bien aimé. Le monologue de Pi est très bien rédigé, et aussi bien interprété. De même, Pi réussit à nous perdre, en tant que spectateur. On ne sait plus si cela est vrai ou non.
En soi, le script est très correct, car en plus de l'épopée au côté héroïque, il remet rapidement en question des thèmes comme la religion, la condition humaine face aux animaux, et les vices de la presse.
LA MISE EN SCÈNEAïe.
Aïe, aïe, et encore aïe. J'ai beaucoup de choses à dire là dessus.
Tout d'abord, ce choix grotesque d'avoir voulu tout faire en effets spéciaux. On va quand même rappeler le budget faramineux qui est de 100 millions de dollars. Certes, on ne doit pas juger un film sur l'histoire autour de ce film, mais cette histoire est malheureusement concernée au premier degré.
Ce film a été conçu en très grande majorité en images de synthèse. Pour un tigre, et pour faire bouger les animaux comme souhaité, c'est certes nécessaire. Mais pour certains passages, cet usage vomitif de fond vert est juste absurde. Au début, une scène de dialogue dans le parc notamment : on sent vraiment que ça a été tourné en studio, car la lumière coïncide difficilement avec les personnages et il y a un petit flou autour d'eux, même le flou de profondeur de champ est étrange.
L'apothéose de l'utilisation abusive de fond vert se trouve pendant le naufrage, et pendant l'épopée en elle-même. Pour moi, il y a un gros manque d'immersion du fait qu'on nous montre ce gros bateau couler de toute sa grandeur dans la flotte. Ce souci là, c'est à dire le souci
de montrer tout et n'importe quoi car on a un budget en or massif, je vais y revenir après. On en vient donc à l'épopée.
Je vous le disais, l'utilisation de faux animaux semble nécessaire, mais selon moi très contestable. On y perd beaucoup en naturel. Alors oui, un tigre c'est dangereux, mais… je vous pose mon argument juste après.
Cette séquence de rêverie dans l'univers, que j'ai vivement critiquée tout à l'heure, vient encore du fait que ce film est juste un gros pâté de savoir-faire hollywoodien. En effet, Ang Lee voulait certainement montrer ce que Pi ressentait, à travers la compagnie du tigre. La narration, je le précise, était toujours trop absente à ce moment là. Ce qui aurait pu contribuer à changer ce passage pour quelque chose de bien plus puissant s'appelle…
LA SUBJECTIVITÉ.
Et oui. Je hais cette façon de faire, qui est de toujours trop en vouloir montrer au spectateur sans le laisser rêver. Imaginez un plan sur les yeux de Pi et du tigre uniquement, de façon bien cadrée et avec une musique adéquate derrière. Avec uniquement, la voix de Pi, rêveuse et décrivant à sa façon ce qu'il voyait.
Dans certains cas, des mots valent bien plus que n'importe quelle image. C'est ici le cas, et c'est aussi le cas pour certains plans du tigre, on en parlait tout à l'heure. Certes c'est dangereux de faire tourner un tigre avec un humain, mais pourquoi ne pas le montrer seulement de façon plus occasionnelle ? Je veux dire, on est à l'ère sonore depuis le
Chanteur de Jazz de 1927, alors pourquoi ne pas user de ces magnifiques bruitages pour accentuer sa présence sans exagérer ces plans ?
Les images, en soi, sont très belles, mais voici encore un exemple ultra-stupide de cette utilisation en 3D : quand Pi jette une boîte de conserve à la mer, on voit très sincèrement que ça a été fait en 3D. Oui, même une pauvre boîte de conserve a dû prendre du temps (et de l'argent) pour être conçue en images de synthèse ! Ridicule ! Quelques plans aussi où la 3D est évidente, c'est le lever de Soleil, juste trop jaune et trop rêveur pour que ce soit réel. On en rajoute, encore et encore. C'est presque comme si, à force de rester devant un ordi jour et nuit, les mecs des effets spéciaux ne savent plus à quoi ressemble un lever de soleil.
Conclusion…
Le tigre est faux. Le ciel est faux. L'eau et le bateau sont en partie faux ; ce film, tourné ironiquement dans une piscine, aurait très bien pu être tourné dans la cuvette des toilettes. Pourquoi, mais pourquoi ne pas en avoir fait…
un film d'animation ? Je veux dire, pourquoi s'embêter à faire incruster des personnages réels dans un décor intégralement en 3D ? Refilez le script à Pixar, tout aurait été bien plus simple, et peut-être bien plus joli en matière de cadrage. Car on voit qu'Ang Lee est très limité avec sa caméra du fait de tout faire sur fond vert.
Le cadrage est souvent monotone, et mal géré. J'ai remarqué plusieurs plans où le focus était tantôt sur l'arrière plan, tantôt au 1er plan. Des styles de cadrage donc qui reviennent trop souvent, ou pire encore, des mouvements de caméra très inutiles. Sur le bateau des naufragés, le caméra bouge tout le temps, et on voit bien que c'est juste histoire de dire :
regardez comme l'arrière-plan synthétique tient super bien sur l'image ! Pour me faire choper le mal de mer, c'est réussi, mais pour l'immersion non. Le cadrage, selon moi, est juste passable.
Et… que fait Gérard Depardieu démarqué dans le générique du début ? Il aurait dû apparaître en tant que figurant, mais pas plus ! On dirait que ce rôle de cuisinier a été conçu SPÉCIALEMENT pour lui, juste histoire de dire :
regardez, on a un super acteur qui joue avec nous ! La prestation d'Irrfan Khan n'était-elle donc pas suffisante ? Bref, encore un de ces système hollywoodien qui me déplaît fortement.
Par contre, mention spéciale pour le montage sonore, qui lui sauve vraiment l'immersion, et le montage vidéo qui est très respectable lui aussi. Sauf pour ces transitions ultra-cucul démodées depuis Ben-Hur premier du nom ; oui, je parle de ÇA :

Regardez bande de français, on a un fond vert, NOUS !
Mais encore une fois, ce n'était pas du tout le boulot d'Ang Lee… mais celui de ceux qui sont en studio, cloîtrés dans leur petite salle de montage, surexploités. Je le rappelle : la compagnie qui a fait les effets spéciaux, qui pour moi aurait dû obtenir 95% du mérite visuel, est au CHÔMAGE. 250 licenciements, une dette de 50 millions de dollars de la compagnie ; ces héros ont été payés à moitié, et encore, je me demande s'il ont été vraiment payé pour toutes les séquences.
La nomination aux Oscars qu'a obtenu Ang Lee n'est absolument pas méritée, car ce type a juste donné des ordres sur ses rêveries, rien d'autre. Mais je ne jugerai pas le film sur ce désagrément extérieur.
LE JEU D'ACTEURIrrfan Khan interprète merveilleusement bien le rôle de Pi, surtout pour le monologue final, où j'ai enfin ressenti quelque chose de concret, après une heure de dégoût visuel en 3D. Le père, joué par Adil Hussain, et qui occupe une place assez importante dans l'éducation de Pi, est aussi très fidèle dans ce film.
La seule chose que je pourrai reprocher, c'est encore cette hyper-sensibilité parfois, lorsque Pi tue son 1er poisson. J'aurais bien mieux vu un plan où il le tue de sang froid, et où il pleure plus intérieurement. S'il avait uniquement montré une douleur intérieure, comme quand Guignol tue la tireuse d'élite à la fin de Full Metal Jacket, l'effet aurait été bien plus saisissant.
LA BANDE-SONUne musique honorable, mais souvent trop éparpillée sur les deux heures de film, et qui elle-aussi a tendance à vouloir trop en rajouter dans le côté émotionnel. Par contre, déjà dit précédemment, mais le montage sonore est vraiment excellent.
En conclusion, l'Odyssée de Pi est un bon film… pour enfants. Comme un Pixar signé Ang Lee.
LA NOTE DE LUDWIG : 11/20
EDIT : correction de fautes mineures
EDIT 2 : même chose.